Actes du colloque " Apprendre une langue de spécialité : enjeux culturels et linguistiques " (École Polytechnique, Paris, 14-15 Sept. 2006)

Le français par la science : une langue étrangère enseignée par un scientifique aux scientifiques

Dmitry Lisachenko, Université de Saint-Pétersbourg, Russie. da@fr.spb.ru

1. Introduction

Cet article représente un point de vue d'un physicien souhaitant partager son expérience de l'enseignement du FLE aux facultés scientifiques de l'Université d'Etat de Saint-Pétersbourg à partir de son expérience francophone en tant qu'usager (étudiant en physique, chercheur, stagiaire au CNRS, traducteur etc.) et professeur de français pour les usagers (étudiants et stagiaires) ayant mis en pratique un cours de FOS aux facultés scientifiques.

Pour nous le français quel qu'il soit (FLE, FOS, etc.) c'est avant tout un outil, et pour un étudiant le résultat principal c'est la possibilité d’expliquer en français la (sa) solution d’un problème scientifique. Souvent la leçon de français n'est pas une simulation d'une activité scientifique : c'est l’activité elle-même. Ce qui est important c’est que l’étudiant doit penser à la physique, et pas à la grammaire d'une langue étrangère : demandez à n'importe quel scientifique à quoi il pense en parlant de la science en sa langue maternelle. Cela doit être pareil en une langue étrangère.

Il est évident que l’idée principale d'utiliser les compétences en sciences dans une étude d'une langue n’est pas nouvelle et qu’elle a été plusieurs fois mise en pratique par de nombreux scientifiques apprenant des langues en tant qu'autodidactes. On peut en donner de nombreux témoignages, par exemple ceux de R.Feynman ou L.Schwartz, aussi que celui de l'auteur de cet article qui commençait à apprendre l'italien pour aller en Italie ou le roumain pour tester l'efficacité de la méthode, et de ses collègues qui ont utilisé cette idée en cours élémentaire de l'espagnol.

Partout dans cet article, en disant "physicien" ou "scientifique" nous y sous-entendons également un chimiste ou un ingénieur, un mathématicien ou un informaticien, aussi bien qu'un traducteur technique ayant une formation scientifique... Bref, toute personne qui utilise régulièrement dans son activité professionnelle les compétences en sciences dites dures ou exactes. Nous croyons que les idées exprimées ici sont applicables à eux tous.

2. Contexte culturel, linguistique et scientifique

2.1. Parcours pédagogique singulier et analyse des besoins
Du point de vue d'un usager, cette analyse consiste à énumérer les besoins et les préoccupations quotidiennes, langagières et pédagogiques, d'un scientifique.

Un scientifique qui termine l'université et entre dans une vie où les migrations interprofessionnelles sont fréquentes, doit posséder la capacité d'adaptation et une flexibilité assez élevée, plutôt que des compétences précises dans un domaine étroit, y compris la connaissance d’une langue étrangère. Il ne doit pas croire qu'il va consacrer toute sa vie à la même matière et n'exercer que les mêmes activités langagières même si celles-ci ont été les meilleures au moment de la sortie de l'université. Enfin, dans la vie il est important de savoir rentrer très vite dans le sens de la matière et d'obtenir très rapidement le premier résultat ; cela fait, on avance avec courage.

Communiquer à un collègue en sa langue, lire un article scientifique en une langue étrangère, voire inconnue, être embauché comme relecteur ou traducteur d'un texte scientifique ou technique, et même enseigner les notions d'une langue étrangère à son collègue pour le dépanner au début de son stage à l'étranger, ce sont des tâches quotidiennes qui se posent devant un scientifique (et cela sans compter de multiples métiers non liés à sa formation). Par exemple, un physicien russe en France parle normalement les trois langues en même temps : le russe, le français et l'anglais. Il doit donc passer avec aisance d'une langue à une autre, restant toujours concentré sur la matière scientifique.

Nous parlons ici du niveau débutant et intermédiaire, le plus enseigné auprès du grand public. Au niveau avancé en langues on appliquerait plutôt une approche autodidacte ou une méthode sur mesure. C'est pourquoi nous n'en parlerons pas ici.

2.2. L'interdisciplinaire : scientifique et littéraire

Rien n'est plus naturel que l'interdisciplinaire, car dans la nature elle-même il n'existe aucun phénomène purement physique ou purement chimique, non plus purement linguistique.

Les disciplines s'étaient séparées car d'une part il n'était plus possible pour une seule personne d'englober la totalité du savoir, et d’autre part les disciplines se distinguaient nettement selon la matière (la physique et la chimie ont longtemps vécu séparément avant de se retrouver au niveau atomique).

La deuxième moitié du XX siècle a été marquée par l'interpénétration des sciences naturelles ; non seulement au niveau de la matière (niveau atomique pour la chimie et la physique), mais aussi au niveau des idées et de la description des phénomènes (processus non équilibres, auto-organisation, évolution). Les mêmes idées ont été déjà appliquées, et parfois avec un certain succès, aux sciences humaines (par exemple, on parle de l'histoire théorique, au moins au niveau des idées). Ou bien prenons la mécanique quantique et la dualité onde - particule : pour la comprendre il faut apprendre d'abord une toute nouvelle langue artificielle qui s'appelle la mécanique quantique et qui a été inventée pour décrire de nouveaux phénomènes, invisibles dans la vie quotidienne. La mécanique quantique est souvent très difficile pour un débutant car il n'a pas encore appris les notions de cette nouvelle langue, c'est pourquoi le sens lui échappe. C'est comme la poésie chinoise pour ceux qui ne le parle pas : on peut admirer les hiéroglyphes, mais on ne peut pas sentir le sens.

L’intégrité de l’Univers lui-même étant incontestable, les spécialistes sont de moins en moins séparés en scientifiques et littéraires. Par conséquent, la distinction entre le FLE (français général) et le FOS (français sur objectifs spécifiques) ou entre le FOS et le français de spécialité (FDS) paraît artificielle et parfois excessive, aussi bien que pour la traduction scientifique et la traduction technique. En effet, malgré un intérêt académique incontestable cette distinction aurait pu avoir un sens pragmatique s'il y avait assez de spécialistes pour chaque branche, ou assez de traducteurs très spécialisés en leur thématique, ce qui n’est pas le cas : en réalité la même personne fait tout, ou au moins elle doit être prête à faire tout.

De toute façon, cette distinction didactique ne sera pas claire pour un scientifique (qui veut tout simplement lire, écrire, parler, traduire et comprendre) et ne pourra pas être utilisée dans son activité pratique. Et les changements de métiers rendent ces distinctions inutilisables. Finalement, puisque le précipice entre les scientifiques et les littéraires devient de moins en moins profond, il ne faut pas séparer trop les littéraires eux-mêmes.

Dans quel ordre apprendra-t-on les différentes matières ?

Traditionnellement, on apprend les sciences séparément du FLE, et le FOS après le FLE. Mais il nous paraît naturel et efficace d'essayer d'apprendre tout à la fois, parce que le FOS élémentaire ouvre un très bon chemin vers le FLE.

Résumons la situation interdisciplinaire sous la forme d'un tableau :

 

Approche classique

Approche pour les scientifiques

Matières réunies

Assez proches : physique + chimie ; histoire + littérature

Sciences + langues

Approche

D'abord étudier les matières à part ;
puis les réunir

Ne pas séparer dès le début :
1) enseigner ensemble
2) utiliser les idées d'une discipline dans l'étude de l'autre.

Séquence

D'abord le FLE littéraire,
puis le FOS

Le FOS élémentaire avant le FLE

Grammaire

Construire la phrase à partir des règles

Déduire des règles à partir des exemples

2.3. Le français à la faculté des sciences

Une langue étrangère pour les scientifiques n'est pas une discipline limitée et simplifiée, opposée à une langue étrangère "classique". C'est une notion assez large qui comprend donc :

– le français de spécialité ;

– le français général pour les scientifiques avec les approches spécifiques,

– les sciences en français : d'une part, le vocabulaire des conférences, séminaires, etc., et d'autre part, une nouvelle connaissance scientifique (ce qui est très motivant en cours de langue) ;

– le français parmi les autres langues (son lieu et son rôle dans le monde réel),

– les nouvelles approches pédagogiques.

2.4. Le FOS, une langue parmi les autres : une langue marginale ?

Dans mes activités de chercheur en physique, d’enseignant de français et de traducteur technique je me suis posé toujours les mêmes questions : faut-il protéger l'environnement linguistique dans le milieu scientifique, cet environnement étant si fragile sous la pression technocratique de l'anglais, et comment le protéger ? Quel est l'avenir du français dans le milieu des scientifiques, et comment leur enseigner cette langue dans un pays non francophone ? Les étudiants en physique, en mathématiques et en génie qui apprennent le français, qui sont-ils et que trouveront-ils dans et avec cette langue ? Apprennent-ils cette langue pour faire véhiculer la pensée scientifique ?

Rendons-nous à l'évidence que dans le milieu scientifique et technique l'anglais professionnel prédomine, de même que les chiffres arabes avaient prédominé les chiffres romains (ce qui n'inquiète personne d'ailleurs). D'autre part, cette prédominance a transféré l'anglais du niveau linguistique et culturel au niveau utilitaire : la plupart de ceux qui lisent un article scientifique ou un guide de l'utilisateur ne lira jamais Shakespeare.

En même temps les scientifiques apprenant le français dans un pays non francophone constituent un milieu spécifique car ils n'apprennent pas la langue pour en faire un outil principal de travail. Le français devient un élément culturel important : en plus des cours de français des sciences et des sciences en français, les étudiants aiment beaucoup parler de l'art ou des voyages, mettre en scène de petits spectacles ; bref, vivre en français. Lorsque dans la science elle-même le français n'est qu'un des éléments de la langue de communication scientifique, l’étude du français témoigne des capacités de l’étudiant, et surtout de sa culture générale et de son désir d’horizon.

Finalement, quand on a faim un bon cognac devient marginal. Tant que les langues autres que l'anglais n'assurent pas la plupart des besoins technocratiques, ne manquons pas de les considérer au niveau culturel. Savourons-les.

3. Détails de la méthode

3.1. Manuel "Le français vu par un physicien"
L’expérience pédagogique et les idées évoquées ci-dessus ont abouti à un livre "Le français vu par un physicien". La première édition (1998) étant intitulée "Le français pour les physiciens", la deuxième fut élargie et adaptée aux mathématiciens et informaticiens. Les étudiants en physique et en mathématiques ont souvent le but assez précis de partir à l'étranger, en stage, pour y étudier ou travailler. C'est pourquoi le livre prévoit un apprentissage rapide du français fonctionnel (à partir du niveau vrai débutant) et comprend des chapitres comme "Etudier en France". Présentons le contenu du livre.

Chapitre

Nombre de pages

Remarques

Cours élémentaire

7

Le minimum du vocabulaire quotidien
(études, repas, loisir) et de la grammaire.

Grammaire

29

Présentation sous une forme compacte et analytique.

Fautes typiques

5

Typologie pratique : comment éviter les fautes fréquentes.

Etudes en France

22

Renseignements sur le système éducatif, constitution du dossier, correspondance, etc.

Textes

59

Physique, mathématiques, informatique.

Des exercices ciblés sur le contenu scientifique des textes.

Vocabulaire bilingue

64

Physique, mathématiques, informatique.

A partir des manuels universitaires du niveau DEUG

3.2. Première leçon

Montrons quelques exemples des premières leçons de ce cours au niveau des vrais débutants.

Un physicien qui commence l’étude d'une nouvelle langue étrangère a souvent des objectifs très précis et veut atteindre un résultat immédiat. Pour lui le choix entre la simplicité efficace et la beauté compliquée est évident. De plus, pour avoir confiance en méthode, il souhaite que les premiers résultats soient déjà utilisables dans sa vie professionnelle.

C'est pourquoi après une demi-heure de phonétique on prend un texte simple et encourageant (voir ci-dessous des exemples). Un étudiant peut dire au bout de la première leçon : "J'ai pu lire un vrai livre français".

Cette méthode peut aller aussi dans d'autres domaines, même en musique : on peut commencer par des gammes, mais aussi par des extraits de Jean-Sébastien Bach : on y trouve deux ou trois mesures aussi simples qu'une gamme, mais un esprit musical ultime y règne : c'est très encourageant. Ça inspire.

Exemple

Avantages

Le Petit Prince *
– Que fais-tu là ?
    – Je bois.
– Pourquoi bois-tu ?
    – Pour oublier.
– Pour oublier quoi ?
    – Pour oublier que j'ai honte.
– Honte de quoi ?
    – Honte de boire.
  • – la vraie littérature
  • – simplicité (répétitions)
  • – succès rapide
  • – sujet passionnant
Etude d'une fonction

On désigne par f la fonction numérique définie par f(x) = 2x – sin x et on appelle C sa courbe représentative dans un repère orthonormé (0,i,j).

  • – la vraie science (sens, vocabulaire, grammaire)
  • – simplicité
  • – succès rapide
  • – sujet intéressant

J.-S. Bach, Toccate et Fugue en ré mineur
  • – la vraie musique
  • – simplicité technique
  • – succès rapide

*) On peut même présenter cet extrait avec une vraie bouteille (bon, vide...) sur la table.

3.3. Approche "mathématique" de la grammaire
3.3.1. Les temps verbaux
En mathématiques on n'apprend pas tous les nombres entiers l'un après l'autre (1, 2, 3, ... 985, 986, 987...) : il suffit les dix chiffres (0, 1, ..., 9) et quelques règles élémentaires. On n'énumère pas non plus tous les vecteurs possibles dans notre espace : il suffit trois vecteurs indépendants constituant une base et permettant d'en construire tout autre vecteur.

De même, il nous paraît raisonnable de ne pas étudier longtemps tous les temps verbaux l'un après l'autre, mais de prendre quelques éléments de base (un temps ou un autre élément grammatical) et d'en construire tout ce qu'il faut. Montrons comment ça fonctionne.

1. L'élément principal c'est naturellement l'Infinitif.

2. Ajoutons l'élément "Présent". En plus du Présent lui-même cela permet de construire encore un temps passé et un temps futur.

3. Le troisième élément est le participe passé qui permet d'obtenir encore quelques combinaisons.

4, 5. En y ajoutant l'Imparfait et le Futir simple nous pouvons construire enfin tous les autres temps.

Les exposants temporels que nos attribuons permettent de mieux comprendre comment les temps sont ordonnés entre les plus anciens (–2) et le futur (+1), et de donner une explication assez simple de leur concordance que nous montrerons sur un exemple du Conditionnel.

 

 

Eléments de base

Temps composés

Exposant temporel

1. Infinitif

 

0

2. Présent

 

 

Futur proche = Prés. + Inf.

Passé proche = Prés. + Inf.

0

+1/2

-1/2

3. Participe passé

 

 

 

 

Forme passive

Passé composé

Passé surcomposé = 2*(Pas.comp)

Passé imm. dans le passé = Pas.pr.+Pas.comp.

Futur imm. dans le passé = Fut.pr. + Pas.comp.

-1

-1

-2

-3/2 = -1/2 - 1

1/2 = +1/2 - 1

4. Imparfait

5. Futur simple

 

 

 

 

Plus-que-parfait = Pas.comp.+Imp.

Conditionnel présent = Fut.S. + Imp.

Futur antérieur = Fut.S + Pas.comp.

-1

+1

-2 = -1 - 1

0 = -1+1

0 = -1+1

 

Il faut noter que le sens d'un temps composé se compose des sens de ses composants (sinon le schéma n'aurait pas de sens), et en expliquant les temps on peut recourir à une traduction des temps composés mot à mot, et puis déclarer que c'est un nouveau temps par définition.

Les avantages de ce schéma, très utiles pour les scientifiques, sont une approche unifiée de tous les temps, y compris ceux qui n'ont pas de nom particulier, et la possibilité de construire et d'interpréter les temps encore plus complexes. Enfin, pour un scientifique avoir un outil c'est plus important que de connaître tout simplement le résultat.

3.3.2. Concordance des temps du Conditionnel
Montrons comment on peut obtenir les règles de la concordance du Conditionnel à partir de la formule de base " Si Présent, Futur simple '' en y ajoutant des autres temps. La même formule (si t, t+1) permet à un étudiant, même dans les cas les plus complexes, de vérifier ce qu'il écrit à l'aide d'un simple calcul.

 

Opération

Détails de calcul

Exposants

Résultat (règle)

Exemple

1

Proposition
de départ

Si Présent,
Futur simple

si 0, +1

Je le ferai
si je peux.

2

Ajouter l'Imparfait

Prés.+ Imp. = Imp.

Fut.S. + Imp. = Cond.Prés.

0–1 = –1

–1+1 = 0

Si Imparfait, Cond.Présent

si – 1, 0

Je le ferais
si je pouvais.

3

Ajouter le Passé Comp.

Imp.+ Pas.comp. = Plus-que-parf.

Cond.prés.+ Pas.comp. = Cond. Passé

–1–1 =–2

0–1 =–1

Si
Plus-que-parf., Cond.Passé

si –2, –1

Si le Bon Dieu
l'avait voulu
j'aurais connu
la Cléopâtre. (G.Brassens)

N'oublions pas qu'il existe toujours des exceptions et des cas compliqués qui ne rentrent pas dans le schéma, ainsi que la liberté de l'expression et de l'interprétation. Mais les complications et les exceptions doivent reposer sur une base solide, durable et efficace.

Nous pouvons faire pareil pour la concordance des temps de l'Indicatif, où la règle représente une matrice carrée d'ordre 3 avec les zéros sur la diagonale principale et les -2, -1 et +1 sur les autres diagonales. L'absence de l'exposant +2 qui brise la symétrie presque parfaite de cette matrice s'explique par la différence fondamentale entre le passé que nous connaissons bien et le futur qui nous est inconnu : d'ici une "saturation" quand l'exposant n'augmente plus.

Donnons encore un exemple de l'importance de la connaissance de la matière qui fournit les précisions grammaticales importantes : les trois expressions ci-après semblent similaires, et pour y mettre correctement les articles il faut comprendre leur sens exact : un ensemble de mouvements (une sélection), un espace des mouvements (de tous les mouvements), des équations du mouvement (le mouvement comme tel).

Rappelons que cette méthode est efficace pour les scientifiques, mais nous ne pouvons pas garantir son efficacité pour tout public.

3.4. Document authentique

Il nous paraît important de modifier la définition traditionnelle du document authentique pour mieux exprimer les besoins de l'usager (scientifique, ingénieur, traducteur technique). D'après la définition traditionnelle, un texte authentique est un texte écrit

– par un locuteur natif

– pour un locuteur natif

– dans un but purement communicatif (et pas éducatif).

Cette définition ne concerne donc que l'étape de la création du texte. Nous la complétons du quatrième élément, pour le cas d'un texte scientifique :

– utilisé dans un but professionnel (par exemple, lu par un scientifique au cours de sa recherche).

Tant que ce texte n'a pas été écrit pour en tirer les éléments de grammaire, il doit être utilisé comme prévu. L'analyse grammaticale ne doit pas être le seul exercice. La grammaire peut y être analysée bien sûr, mais surtout pour mieux comprendre les nuances du sens, et même à l'envers, c'est l'analyse du contenu scientifique qui permet de découvrir et de rétablir les éléments de grammaire.

Rappelons-nous qu'il faut se méfier, aux étapes initiales et intermédiaires, des textes de vulgarisation qui réunissent la simplicité scientifique avec la complexité linguistique, les deux parfois excessives.

3.5. Fautes fréquentes : comment les éliminer

L'expérience montre que l'on peut espérer réduire considérablement le nombre de fautes dans le français écrit : la majorité des fautes dans des textes scientifiques est due soit aux facteurs extralinguistiques, soit à une simple mégarde. Par exemple, dans une série de traductions du français vers le russe que nous avons analysées les fautes ont été réparties comme suit (en pour cent) :

 

Faute

Comment éviter

%

1

Absurdité

On écrit des choses absurdes quand on connaît mal la langue, mais pour voir qu'elles sont absurdes il faut connaître la matière.

20

2

Style

Lire Pouchkine, Molière, Shakespeare...

36

3

Termi-nologie

Connaître la matière et les ressources terminologiques.

17

4

Inattention

Culture générale.

13

5

Orthographe

Utiliser un correcteur d'orthographe.

7

6

Autres

(pas de conseil général)

7

Donc les 20+36+13 = 69 pour cent de fautes ne concernent pas la langue et proviennent plutôt d'un manque de culture générale et professionnelle.

Une autre recherche, dans une traduction vers une langue étrangère, a donné les résultats similaires, avec 1/3 de fautes d'orthographe élémentaire et 1/3 en terminologie et sens.

Dans les deux cas les fautes de grammaire les plus fréquentes sont les plus élémentaires, notamment, l'accord du pluriel et du féminin (-e, -s, -es, -aux), les conjugaisons (-a, -ai, -ait, -ais), les articles (cas élémentaires), l'interférence entre l'anglais et le français (énergie - energy).

3.6. Saturation

Un cours de FLE pour les scientifiques ne doit pas être trop long : ils n'ont jamais le temps, et mieux vaut apprendre bien les notions qu'approfondir les nuances. On ne peut pas réduire le nombre de fautes à zéro ; tout ce qu'on peut faire c'est de le réduire au niveau acceptable (de même, nous vivons dans un bruit permanent acoustique et électromagnétique que nous n'apercevons pas car il est en dessous d'un seuil admissible). Et il est important de deviner un moment à partir duquel ce nombre ne diminue plus et une étude plus approfondie ne donnera plus rien (toute fonction dans le monde matériel contient une partie régulière et un bruit, ce dernier ne pouvant pas être éliminé).

4. Cours de traduction scientifique et technique

Un cours de traduction mis en place à l'Ecole de l'Alliance Française de Saint-Pétersbourg sera décrit en détail ailleurs ; nous donnons ici son plan en gros. Le cours se compose de plusieurs parties qui correspondent aux compétences les plus importantes d'un traducteur :

1. La pratique de la traduction des textes simples, afin d'éliminer les fautes élémentaires et de s'habituer à appliquer à la traduction les compétences scientifiques.

2. Les compétences en informatique (des logiciels de traduction, des dictionnaires, des ressources internet etc.).

3. La documentation réglementaire qui impose la terminologie et la phraséologie spécialisée.

4. Quelques éléments de grammaire inséparables de la compréhension du texte.

Le rôle de la grammaire ou de la théorie de la traduction dans ce cours est secondaire, ce qui est définie par la pratique professionnelle.

5. Conclusion

Notre expérience montre qu'une application active de la connaissance de la matière (de la physique à la faculté de physique, etc.) peut considérablement simplifier et accélérer l'apprentissage des langues étrangères par les étudiants en sciences, non seulement en augmentant l'intensité du cours, mais aussi et surtout en y trouvant un chemin plus direct, adapté aux compétences et à la mentalité des scientifiques. C'est surtout grâce à la possibilité de reconstruire le vocabulaire et la grammaire à partir du contenu du texte et de présenter la grammaire sous une forme plus familière aux scientifiques. Il est aussi important de pouvoir simuler une véritable activité scientifique en classe de langue. Les compétences scientifiques du professeur de langue deviennent dans ce cas un atout très efficace.

La division en FLE, FOS, FDS etc. ne nous semble pas très importante. Par contre, vu les changements considérables dans le rôle des langues étrangères et dans la méthode de leur enseignement aux facultés des sciences, il nous paraît utile d'introduire une nouvelle notion du FSLE – Français Scientifique Langue Etrangère – qui représente un alliage naturel du FOS dans un sens traditionnel, du FLE qui est mieux adapté à la mentalité d'un étudiant scientifique, et de la science elle-même dont l'expression en langue étrangère reste un objectif primordial.

De plus, vu la situation multilingue dans la science (l'anglais langue la plus répandue, le français une des deuxièmes langues, et la capacité d'attaquer une autre langue, si nécessaire), il serait souhaitable de remplacer aux facultés scientifiques la discipline "Langue française/russe/polonaise etc." par la "Communication en langue étrangère", sans se limiter strictement à une langue particulière et en incluant dans le cours les éléments indispensables de la traduction scientifique et technique. (Un exemple en a été donné en fait par l'Ecole Polytechnique : l'examen de français pour les étudiants étrangers a été remplacé par un examen de la culture générale).

Bibliographie

Loin d'être exhaustive, la bibliographie vise a montrer les tendances dans l'étude des langues étrangères chez les scientifiques et ingénieurs. Tout d'abord, il y a des ouvrages sur le français des sciences que l'on pourrait nommer plutôt "classiques" [1, 2, 3], puis quelques témoignages des scientifiques autodidactes [4, 5], et, enfin, un nombre de manuels de langue et de traduction scientifique et technique écrit par les scientifiques et ingénieurs eux-mêmes [6, 7, 8, 9].

Une partie des idées du présent article a été publiée en russe et en français, voir par exemple [10].

1. Pratiques du français scientifique. S.Eurin Balmet, M.Henao de Legge. Hachette/AUPELF, 1992.

2. Jacques Leclerc. Le français scientifique : guide de rédaction et de vulgarisation. Linguatech, Québec, 1999.

3. Jacqueline Tolas. Le français pour les sciences. PUG, 2004.

4. Laurent Schwartz. Un mathématicien aux prises avec le siècle. Odile Jacob, 1997.

5. Richard P. Feynman. Surely You're Joking, Mr. Feynman! Editions Norton, NY, 1985 (en anglais).

6. Gregory E.Condoyannis. Le russe scientifique. Eyrolles, 1964.

7. Boris Klimzo. Le métier du traducteur technique. Editions R.Valent, Moscou, 2003 (livre en russe).

8. Dmitry Lisachenko. Le français vu par un physicien. Editions Logos, Saint-Pétersbourg, 2003 (livre en russe).

9. Alexey Sosinsky. Comment écrire un article mathématique en anglais. Editions Factorial Press, Moscou, 2004 (livre en russe).

10. Dmitry Lisachenko. Le français à l’université : langue scientifique et langue d’horizons. Bulletin de l'AUF "Le français à l’université", n.3, 2005.